sousentendu

Si j'ai toujours raison tu sais, j'ai pas toute ma raison.

Mercredi 16 décembre 2009 à 15:29

Sa présence rassure...

"Jay Byrne était blottit dans le gigantesque fauteuil en cuir noir de sa bibliothèque, les angles de son corps nu enveloppés dans une douce couverture d'angora. Les prémices de l'aube teintaient la fenêtre de pourpre et projetait une ombre glauque sur le parquet. Il feuilletait les planches en couleurs d'un dictionnaire médical jadis acquis par son père, pour une raison qui lui demeurait obscure.
Il avait subtilisé ce dictionnaire lors de sa dernière visite à la demeure ancestrale de Saint Charles Avenue, aujourd'hui occupée par son cousin, le fils de Daniel Devore, et par sa famille. Mignon la leur avait léguée en remerciement des services rendus par Daniel à l'entreprise familiale. Elle savait que son fils Jay n'aurait jamais accepté d'habiter le centre-ville.
Il contempla une vue en coupe d'une opération de la prostate, détaillant les pinces hémostatiques glissées dans une incision pour bloquer une petite veine, le doigt ganté qui s'insinuait dans la cavité rectale, caressait la glande malade puis la perçait d'un coup de scalpel, laissant son jus délicieux s'échapper vers l'intestin à travers la paroi musculaire. La prostate évoquait une noix sombre et flétrie. Les parois du rectum ondoyaient en vagues roses et luisantes autour de la lame d'acier. Jay se surprit à penser à Tran, le garçon vietnamien qui lui avait dealé de l'acide la veille. La jeune prostate de Tran serait fine et lisse, pas plus grosse qu'une amande.
Le dos du lourd dictionnaire lui faisait mal au bas-ventre. Il s'aperçut qu'il avait de nouveau la trique, comme si la nuit n'avait pas suffit à l'épuiser. Il y avait au sommet du canal rectal un orifice où pouvaient se nicher quantité d'objets splendides.
Il s'extirpa du fauteuil, remit le dictionnaire en place sur l'étagère pleine à craquer et sortit de la bibliothèque. Seuls les rires à craquer des fêtards du Carré venaient de temps à autre briser le silence régnant dans la maison. En temps normal, Jay aurait passé la nuit à lire, à regarder une cassette ou à faire ses comptes ; il adorait les maths pour leur exquise symétrie. Mais cette nuit n'était pas une nuit comme les autres. Il avait un invité.
Non, se rappela t il, pas un invité. Un chien.
Le cadran lumineux de la pendule de l'entrée affichait cinq heures moins dix. D'étranges ombres se mouvaient tels des spectres piégés par des motifs complexes de la tapisserie écarlate aux mouchetures d'or. Jay entra dans l'antichambre, une fantaisie baroque de draperies de velours, de poufs de satin et de teck laqué, dont le parquet ciré à la couleur de miel disparaissait sous un immense tapis chinois. Les couleurs dominantes de cette pièce était le pourpre, le rose et l'or ; à la lumière du jour, elle évoquait une matrice aurifère.
L'un de ces murs était occupé par une cheminée de marbre rose incrusté de volutes Art déco de malachite, de cornaline et de jais, une véritable et exquise sculpture. Sa beauté était cachée par une couche de suie grasse dont même la paille de fer et la chaux étaient incapables de venir à bout.
Jay resta un instant immobile, comme s'il ne savait pas quoi faire, puis attrapa une délicate tasse en porcelaine sur une table aux pieds de griffon et en vida le contenu. Son échine fut parcourue de frissons, tel un xylophone esquissant une mélodie. Le thé était additionné de cognac et de LSD. Il avait siroté ce poison durant toute la nuit, depuis qu'il avait ramené son chien à la maison.
Le garçon du Café du Monde s'était montré docile durant le trajet, marchant derrière lui à une distance respectueuse, suffisamment près toutefois pour que les touristes et les putes de Jackson Square puisse voir que cette splendide créature lui appartenait. Normalement, Jay préférait se montrer plus prudent, mais il avait l'impression qu'un lévrier pur sang, ou quelque autre animal aussi souple que précieux, le suivait volontairement chez lui.
Un lévrier pur sang. Quelle blague! Si Fido était vraiment un chien, ce serait un bâtard à la gueule attendrissante mais à la fourrure crasseuse. Heureusement qu'il pouvait enlever sa fourrure. Ainsi que ses chaussures, son tee-shirt crade, son jean dégueulasse, ses chaussettes puantes et son slip innommable. Une fois réduit à l'essentiel, Fido pouvait être nettoyé.
La paille de fer et la chaux n'avaient pas pu venir à bout de la cheminée de marbre. Mais les garçons sont beaucoup moins résistants.
Comme Jay traversait l'antichambre, il aperçut son reflet dans l'immense miroir placé dans un coin, au lourd cadre doré regorgeant de fruits et de légumes succulents. Un spectre argenté baigné par la lueur aqueuse de l'aurore, à la peau nue d'une pâleur lumineuse. Son torse et son abdomen étaient sillonnés d'arabesques de sang noir, aussi délicates que de l'écume de mer. Ses cheveux étaient raidis par le sang séché. Ses yeux grands ouverts étaient sauvages, étincelants.
Il entra dans la salle de bain. L'éclat insoutenable du carrelage noir et blanc était atténué par des graffiti et des pâtés rouges, tel un semis de rubis. Le garçon gisait recroquevillé sur lui-même dans la baignoire, ligoté aux poignets, aux chevilles et autour de ses cuisses si douces, les yeux éclairés par l'acide et par une hideuse lucidité. Son corps était lessivé, récuré jusqu'aux nerfs. Là où les angles de ce corps étaient le plus aigus, au niveau des joues, des genoux et des hanches, Jay distinguait l'éclat blanc-bleu de l'os. La chaux avait laissé d'atroces brûlures sur ce qu'il lui restait de peau. Sa bite était aussi spongieuse, aussi flasque d'une bouchée de nourriture régurgitée. A un moment donné, il lui avait ouvert le ventre pour en écarter les parois, et une petite bulle d'intestin était visible à l'oeil nu.
Jay sourit. Le garçon lui sourit en retour. Il n'avait pas le choix ; la chair qui entourait sa bouche avait été brûlée ou récurée, et son sourire était un rictus de dents étincelantes dans un écrin de gencives sanguinolentes. Jay se dit qu'il n'avait pas pris grand soin de son chien. La SPA allait débarquer chez lui d'une minute à l'autre.
Les fêtards pouvaient beugler tout leur soûl dans la rue, le Vieux Carré ne leur appartenait pas. Demain, la semaine prochaine, l'année prochaine, ils auraient disparu, aussi éphémères que le sillage d'un navire descendant le fleuve. Jay serait toujours là. Le Carré était à lui, ses rues nocturnes éclairées au gaz, ses ruelles sordides et ses passages illuminés de néons, ses cours secrètes baignées d'ombre et de feuillage, l'immense lune pourpre accrochée dans le ciel tel un oeil chassieux. Le Carré lui apportait ses offrandes, et il les acceptait avec reconnaissance, avec appétit. Le bruit des fêtards ne dérangeait pas Jay. Mais cette nuit était aussi une nuit de réjouissances.
Le garçon serait mort avant le lever du soleil."
Le corps exquis  Poppy Z.Brite

Mardi 15 décembre 2009 à 21:06

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Dimanche 13 décembre 2009 à 20:19

Parfois, il y a un corps sur mon tabouret. Une sorte d'entité jubilatoire de névroses et d'espoirs tissée. Chaque cellule qui compose ce corps dore sous la tête ampoulée d'une connexion électrique faite de fils et de dominos, il attend. Il observe... note... constate... retient puis travaille. Parfois, on le voit agiter sa tête à droite, puis à gauche. On devine alors qu'un rythme orientale plein d'exotisme aère les membranes de son cerveau secoué par la force de la musique. Parce que la musique est forte, parfois. Elle le malmène, le terrorise, fait monter les larmes, mais c'est quand la musique monte qu'il se sent vivre. Parce qu'il se demande s'il vit vraiment, parfois. Il se dit que peut être tout ça n'est qu'une phase de préparation pour l'entrée du nirvana, une sorte de néant cérébral jouissif auquel seuls ceux qui méritent peuvent accéder.

Parfois ce corps s'adonne à la construction de biens immatériels. Une sorte de château de cartes invisibles dont chaque pilier est dur comme l'acier. Il le façonne, le remplit d'espoirs et puis pouf. Un soupire, plus de château. C'est pour ça que parfois la musique est forte, qu'il reste immobile, qu'il observe. Tout est brouillé. Tout est rayé. Sabotage!

Mercredi 9 décembre 2009 à 22:19

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